En France, la loi dite “anti-gaspillage” votée le 10 février 2020 vise à lutter contre le gaspillage et encourager l’économie circulaire. Pour répondre à la généralisation du tri à la source des résidus organiques (ménages, professionnels, administrations et collectivités), les métropoles ont mis en place des collectes et traitements de biodéchets. Toutefois, la mise en place de ces dispositifs, tout autant que la valorisation par les agriculteurs des produits issus de ces transformations suscitent de nombreuses interrogations. En effet, la qualité des produits de revalorisation est parfois questionnée concernant leurs teneurs en éléments nutritifs et en potentiel contaminants tel que le plastique.
Financeur : Agence de la transition écologique (ADEME)
La généralisation du tri à la source depuis le 1er janvier 2024 pour tous types d’acteurs, posent diverses questions tant au niveau des systèmes de collecte et de transformation utilisés (compostage de proximité, point de collecte individuel vs collectif, valorisation via le compostage, le lombricompostage, la méthanisation etc.) que de leurs possibles valorisations (qualité des produits, utilisation etc.).
Dans ce contexte, le projet VALOR a pour objectif de caractériser et évaluer la faisabilité de filières de vermicompostage pour valoriser les biodéchets urbains afin de permettre leur retour au sol dans des conditions favorables à l’agriculture. Pour cela, le projet a choisi de s’intéresser à différentes filières de valorisation : le compostage (en plateforme ou en pied d’immeuble), la méthanisation et le vermicompostage (réalisé par l’association Eisenia à Lyon).
Matériel et méthodes
Le projet a été organisé autour de trois actions :
- Étude des filières de traitement de biodéchets dans la métropole de Lyon
Pour réaliser l’étude des filières, plusieurs méthodes ont été mises en œuvres :
- Des enquêtes auprès des acteurs du traitement des biodéchets,
- De la bibliographie pour qualifier aux mieux ces filières et trouver des données quantitatives de flux de matières,
- De la modélisation pour évaluer des émissions de GES pour les différents types de filières étudiées, et
- Des visites dans d’autres villes, voire d’autres pays (Espagne) pour comprendre et comparer les différents modes de traitement de biodéchets, dont le vermicompostage.
- Les dispositifs expérimentaux en agriculture biologique (AB)
Un site expérimental a été développé en 2020 à Civrieux (au Nord de Lyon) chez un agriculteur en conversion en AB. Sur ce dispositif des modalités avec vermicompost, compost et digestat tous issus de biodéchets urbains sont étudiées, et comparées à un témoin sans apport organique. Suite aux apports de matières organiques, des suivis sur la fertilité du sol (chimique, physique et biologique) et sur les performances agronomiques des cultures (rendement, qualité) sont réalisés.
- Le dispositif à Givors
L’association Eisenia a mis en place des vermicomposteurs collectifs en lien avec la mairie de Givors dans le cadre d’une expérimentation dans un quartier de la ville. Ce dispositif est étudié, en comparaison de celui de Lyon, pour évaluer la généricité de cette filière et les freins et leviers dans un autre territoire.
L’un des intérêts du vermicompostage est d’être réalisable sans avoir recours à la mécanisation et donc en consommant de l’énergie. Le processus est ‘low tech’, applicable localement, à petite ou grande échelle.
Résultats clés
La caractérisation des vermicomposteurs en fonctionnement sur la métropole a permis de montrer une certaine homogénéité au niveau des paramètres suivis (pH, température et humidité). Sur l’ensemble des vermicomposteurs suivis, des valeurs de pH comprises entre 7 et 8,3 ont ainsi été mesurées, associées à des écarts de température entre -5°C et +5°C avec la température extérieure et une humidité comprise entre 63 et 66%. Ces résultats montrent des conditions adéquates à la survie et la reproduction des vers de vermicompost ainsi qu’un bon déroulement du processus. Les mesures effectuées sur la biodiversité montrent d’importantes diversité et abondance faunistique.
Biodéchets : ils sont définis par L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement comme : « Les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires. » Source: https://www.ecologie.gouv.fr/biodechets
Les méthodes de valorisation des biodéchets :
- Le compostage : le processus de compostage correspond à une transformation biologique de résidus organiques en condition aérobie. A grande échelle, celui-ci est souvent réalisé sur des plateformes industrielles à semi industrielles. Déposés sur des plateformes, les résidus organiques sont dégradés par l’activité des détritivores et notamment des microorganismes. Lors du processus, les résidus compostés montent en température jusqu’à environ 70°C permettant une hygiénisation visant à éliminer les organismes pathogènes. Le compost peut être par la suite utilisé en exploitation agricole en tant qu’amendement du fait de sa richesse en carbone organique. Lors du processus de compostage en plateforme les émissions de GES sont importantes.
- La méthanisation : est basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées (digesteurs) et en l’absence d’oxygène (condition anaérobique). A l’issue du processus du méthane (biogaz) et un digestat sont produits. L’utilisation du digestat en agriculture fait aujourd’hui l’objet d’expérimentations et de recherches quant à sa qualité et son impact sur les sols.
- Le vermicompostage : est utilisé dans plusieurs régions du monde, il s’agit d’un processus de dégradation contrôlée de matière organique (MO) basé sur l’ajout de vers de fumier en amont de la décomposition pour accélérer le processus de stabilisation de la MO. Le produit finis, nommé vermicompost, présente des caractéristiques intermédiaires entre le compost et le digestat, avec un C/N équilibré et une matière riche en microorganismes actifs.
Vermicompostage ou lombricompostage?
Le terme de « lombricompostage » est ambigu dans la mesure où les vers du genre « Lumbricus » (L. terrestris par exemple) sont plutôt des « anéciques » qui ne peuvent pas être utilisés pour le traitement des biodéchets. Le terme de vermicompostage, plus populaire en Belgique ou au Canada, correspond mieux à la pratique. Le vermicompostage ou lombricompostage est un procédé de dégradation des biodéchets faisant appel à des vers de terre (communément appelés « lombrics »). Il fait partie, lorsqu’il est pratiqué à domicile par les particuliers, du compostage domestique et plus largement de la gestion domestique des résidus organiques. Deux espèces du genre Eisenia sont utilisables : Eisenia fetida, le ver de fumier, (il est rouge tigré de gris ou de jaune, il se nourrit de matière organique en cours de décomposition) et Eisenia andrei : le ver de Californie (il est rouge vif et se nourrit de matière organique fraîche). À la différence d’autres espèces de vers de terre qui aèrent et brassent le sol en y creusant des galeries (espèces dites anéciques), ces vers vivent dans la couche supérieure du sol, lorsqu’il y a beaucoup de matière organique en décomposition. On les retrouve naturellement sous les amas de feuilles mortes, de compost en maturation ou de fumier. (Source: ADEME)
Quels sont les modes de gestion du vermicomposteur de proximité (par exemple en bas d’un immeuble)?
Lorsque l’on parle de vermicompostage de proximité, deux modes de gestion sont envisageables : simplifié ou optimisé. Dans les deux cas, les vermicomposteurs sont en plein sol, les apports en biodéchets sont continus et les installations sont composées d’au minimum deux bacs.
La version « simplifiée » est généralement utilisée en cas de faible volume traité soit de 1 à 600 kg/an/m². Les bacs sont remplis, maturés et récoltés, l’un après l’autre. En cas de volume plus conséquent, la version « optimisée » est préférée, elle permet de valoriser entre 500 et 1 000 kg/m² (Broyer, 2021). Les bacs sont tous utilisés en même temps, en alternant des phases de remplissage et de maturation (voir schéma en Figure 2).
Le lombricompost émet-il moins de GES que le compostage ?
Extrait de la thèse de Vincent Ducasse (Ducasse 2023):
« Parmi les techniques de valorisation spécifiques aux biodéchets, le compostage est celle qui émet potentiellement le plus de gaz à effet de serres (GES) à cause de la montée en température (Komakech et al., 2015).
Komakech et al. (2015) ont montré avec une analyse de cycle de vie des systèmes de traitement des déchets biodégradables d’une ville que le compostage conventionnel (thermophile) émettait 80,9 kg CO2 eq / tonne de déchets contre 17,7 pour le vermicompostage, soit 78% de GES en moins. Ceci est principalement dû au processus de montée en température du compostage qui produit une quantité importante de GES de l’ordre de 25 à 36% de plus de N2O et 22 à 26% de plus de CH4 que le vermicompostage (Nigussie et al., 2016). De plus, Nigussie et al. (2016) ont montré qu’en augmentant la densité de vers de terre et le taux d’humidité au cours du processus, il était possible de réduire encore les émissions de GES. Une augmentation des densités de vers de 1 kg.m-² à 3 kg.m-² augmente la production de CO2 de 3 à 14% mais permet la réduction de la production CH4 de 10 à 35% tandis qu’une augmentation de l’humidité de 75 à 85% permet une réduction de 32% de CH4 et de 40% de N2O. D’autres études ont montré que le vermicompostage réduisait jusqu’à trois fois les émissions de NH3, CH4 et N2O par rapport au compostage (Lleo et al., 2013).
Komakech, A.J., Sundberg, C., Jönsson, H., Vinnerås, B., 2015. Life cycle assessment of biodegradable waste treatment systems for sub-Saharan African cities. Resour. Conserv. Recycl. 99, 100–110. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2015.03.006
Lleo, T., Albacete, E., Barrena, R., Font, X., Artola, A., Sanchez, A., 2013. Home and vermicomposting as sustainable options for biowaste management. J. Clean. Prod. 47, 70–76. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2012.08.011
Nigussie, A., Kuyper, T.W., Bruun, S., de Neergaard, A., 2016. Vermicomposting as a technology for reducing nitrogen losses and greenhouse gas emissions from small-scale composting. J. Clean. Prod. 139, 429–439. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2016.08.058 »
Équipe projet
Vincent Ducasse et Joséphine Peigné.
Partenaires
- Eisenia
- INRAE et l’Université d’Avignon (UMR EMMAH)
- INSA et l’Université Jean Moulin Lyon 3 (UMR 5600 « Environment City and Socitety”)
Ressources et publications
Ducasse, Vincent, Sainmont, Lucile et Ulrich, Pierre, 2022. Guide technique – Le vermicompostage de proximité. 23 juillet 2022. https://vermicompost.fr/wp-content/uploads/2023/07/Guide-VC-proximite-2023.pdf
Broyer, Lola, 2021. Caractérisation du processus de vermicompostage en milieu urbain. [en ligne]. septembre 2021. Disponible à l’adresse : https://vermicompost.fr/wp-content/uploads/2022/10/rapport_LB_ajouts_NP.pdf
Peigné, Joséphine, Grard Baptise, Ulrich, Pierre, Ducasse, Vincent, Berdier, Chantal, Maillefert, Muriel et Capowiez, Yvan. 2021. Rapport final du projet Valor. 2021.
Ducasse V, Capowiez Y, Peigné J (2022) Vermicomposting of municipal solid waste as a possible lever for the development of sustainable agriculture. A review. Agron Sustain Dev 42:89. https://doi.org/10.1007/s13593-022-00819-y
Ducasse V, Watteau F, Kowalewski I, et al (2023) The amending potential of vermicompost, compost and digestate from urban biowaste: Evaluation using biochemical, Rock-Eval® thermal analyses and transmission electronic microscopy. Bioresource Technology Reports 22:101405. https://doi.org/10.1016/j.biteb.2023.101405
Thèse – Vincent Ducasse « Valorisation des biodéchets urbains par vermicompostage sur des sols de grandes cultures conduits en AB : une pratique agroécologique pour préserver la biodiversité des sols ? » https://theses.fr/2023AGPT0005